Mérelle.net, l'aventure intérieure

2 - Activation de l'archétype

Récit de Pierre

Commentaires

Le profil Anima

M'interrogeant sur ma fascination, j'étais surpris de constater à quel point Elle ressemblait à ce que je lisais dans Jung au sujet du 'profil anima' : mélange de détachement, de non-implication, de distance et de proximité, de fragilité et de grâce, d'irrationalité, de caprice, d'autosuffisance, d'indépendance farouche. C'est cette fascination durable et l’intensité de l'énergie mise en oeuvre qui m'ont fait conclure à une projection d'archétype, car « le symbole est porteur d'énergie », écrit Jung.

A propos du 'profil anima', Barbara Hannah écrit dans Jung, sa vie et son oeuvre : "Toni Wolff était peut-être de toutes les "femmes anima" que j'ai rencontrées, celle qui pouvait le mieux servir de support à la projection de cette figure. Elle n'était pas belle au sens strict du mot, mais, plus que belle, elle pouvait ressembler à une déesse plutôt qu'à une femme. Elle avait un génie extraordinaire pour accompagner les hommes."

Je me suis dit également que si j’étais autant touché par la personnalité d'Elle, c’est parce que, d’une certaine manière, elle me renvoyait des reflets de certaines parties inconscientes de moi-même. J’en ai conclu qu’Elle pouvait m'aider à lire les contours de mon âme.

Tout d'abord, cette forme de non-intégration dans le quotidien, cette façon d'être une étrangère parmi les autres, de ne pas être attachée à ce qu'elle fait, d'être capable à tout instant de partir ailleurs sans qu'il lui en coûte, tout cela me paraissait refléter un trait de caractère personnel. Celui par exemple qui me permet facilement, si besoin est, de tourner la page et de passer à autre chose ; que ce soit après un échec ou bien encore lorsque je suis dans un groupe, cette inclination à ne pas chercher à m'affirmer et à me dire "au fond, je m'en fous". Autre exemple : la facilité avec laquelle j'ai changé plusieurs fois d'entreprise dans ma vie professionnelle. Mon âme, au fond, me paraît détachée du quotidien, capricieuse, attachée surtout à son indépendance. Cela peut expliquer ma tendance à rechercher une intimité qui m’échappe chaque fois. Mon souci est de ‘fixer ce volatil’ sans jamais y parvenir vraiment. D'où ma tension à y parvenir, d’où mon attachement à séduire. Ce caractère fondamentalement volatil et capricieux fait que mon âme, me semble-t-il, est stérile et incapable d'enfanter. Son caractère d'étrangère dans le monde, et dans sa relation aux autres, la rend comme frigide. Je suis d'autant plus fasciné par Elle que je sens mon âme comme insaisissable et indépendante, refusant d'être commandée, refusant d'être possédée. Ce que je veux, c'est la sortir de cet état, je veux être payé de retour dans ma tension vers elle.

Toujours à propos du 'profil anima' en parlant de Toni Wolff : "Jung fut captivé par sa nature subtile et brillante, dont la complexité était à peine moins labyrinthique que la sienne. [...] Il avait trouvé son 'inspiratrice', celle qui allait, pendant les années de crise, "le" contenir. Des années plus tard, parlant des rapports entre l'anima et l'animus, il commentait :
"Dans un couple, c'est toujours le contenu qui projette cette image sur son contenant alors que celui-ci n'arrive qu'en partie à projeter son image inconsciente sur son partenaire. Plus ce partenaire est simple et unifié, moins la projection sera complète. Auquel cas, l'image si fascinante de l'animus ou de l'anima flotte alentour, comme si elle attendait d'être remplie par une créature de chair et d'os. Certaines femmes semblent naturellement conçues pour susciter la projection de l'anima des hommes. Au point qu'on pourrait presque parler d'un type anima. Elles ont des allures de sphinx. Le mystère est un ingrédient nécessaire de leur personnalité. Elles ont le charme ambigu de l'insaisissable... un flou prometteur qui fait songer au silence éloquent d'une Mona Lisa. Ces femmes-là sont à la fois vieilles et jeunes, mères et filles, et d'une chasteté plus que douteuse. Elles sont enfantines et pourtant douées d'une sorte de ruse naïve extrêmement désarmante pour les hommes." Anthony STEVENS, JUNG l'oeuvre-vie

Tout en menant ces réflexions sur l'image qu'Elle me renvoyait de mon être profond, j'approfondissais la relation avec Elle. Nous parlions volontiers ensemble. Nos entretiens étaient comme des fenêtres sur l'essentiel, des fenêtres ouvertes dans la banalité du quotidien. C'était comme un jeu qui s'engageait entre nous, un jeu dont les règles s’exprimaient en termes d'authenticité, de sincérité, de respect et de refus de possession de l'autre. Ce jeu, car c'était bien un jeu, était notre propriété indivise et invisible, une complicité s’était installée entre nous. Ce jeu, nous pouvions l'arrêter à tout instant, sans avoir d'explication à donner à l’autre, il suffisait de dire "pouce".


Les synchronicités

Parallèlement à l’évolution de notre relation dans la vie extérieure, mes lectures m'expliquaient ce que je vivais. Les synchronicités à ce sujet étaient frappantes. Nombreuses étaient celles qui se manifestaient également avec Elle, comme par exemple arriver en même temps au bureau, alors que nous habitions à plusieurs kilomètres l'un de l'autre et que les horaires étaient élastiques. Je m'amusais à dire que mes lectures synchrones mettaient les sous-titres du film que je vivais. Elles m'expliquaient en effet les phénomènes dont j'étais le sujet : stimulation intellectuelle, libération de la parole, diminution du sommeil de près de 2h par nuit, sentiment de grande énergie, sentiment d'avoir mis un turbo dans mon moteur, synchronicités quasi quotidiennes, mythologisation du quotidien. Ces phénomènes observés m’apparaissaient comme les conséquences directes de l'activation de l'archétype de l'anima.

"Le cours de la vie extérieure change et l'on voit les moyens se créer de façon imprévue, les rencontres, les ressources - les épreuves aussi - s'offrir au chercheur de trésor. Cette entrée dans les synchronicités, c'est-à-dire cette apparition et cette multiplication des coïncidences signifiantes, qui ordonnent la vie autour d'un axe mystérieux, est le meilleur témoignage que le travail est en bonne voie." Étienne Perrot, La voie de la transformation d'après CG Jung et l'alchimie.


Les rêves

Mes rêves, eux aussi, témoignaient de cette activation.

Celui-ci par exemple : "Je suis en voiture, je m'arrête mais sans arrêter le moteur, j'entre dans le magasin un court instant pour des cartes postales. Lorsque je sors, la voiture brûle. J'attrape l'extincteur, il ne marche pas très bien, mon grand souci est que le réservoir d'essence n'explose pas, je finis d'éteindre l'incendie avec le tuyau d'arrosage du jardin. La voiture est toute carbonisée." Voici l’interprétation que j’ai retenue de ce rêve. Ma voiture est une image de moi. De moi qui ? peut-être du corps ! C'est lui (mon corps) qui brûle, qui se consume, qui s'embrase (embrasement émotif, déchaînement de passions). Le risque, c'est le réservoir d'essence (des sens ?), mon énergie vitale, ma libido. Celui qui éteint l'incendie, c'est moi, moi la conscience morale cette fois. Mais celle-ci paraît maladroite à tenir l'extincteur, comme si la morale n’était pas l’outil adapté pour éteindre cet incendie-là. Je réussis néanmoins à éviter l'explosion qui porterait préjudice à d'autres, mais le résultat n'est pas glorieux pour la voiture. La raison de l'embrasement de ma voiture, c'est que j'ai été distrait par une carte postale, une image de la réalité, pas la réalité elle-même, mais la représentation que je me fais du monde et les projections que je fais sur lui.

D'autres interprétations de ce rêve peuvent certainement être proposées. Ce qui nous importe ici, c'est le sens particulier que ce rêve a pris pour le rêveur et ce qu'il en a fait, à tort ou à raison.

Le plaisir de parler avec Elle était partagé. La complicité était forte. L’impression était celle de la découverte d’une « soror mystica ». Je vivais cette réalité avec une telle intensité que je n'osais pas y croire. Elle jouait pour moi un rôle de révélateur, Elle avait le pouvoir de libérer ma parole et ma parole faisait sens. Je rêve que "je donne du sens au désert." Le désert, c'est la vie extérieure dans toute sa banalité.

La soror mystica est la femme de l'alchimiste qui l'accompagne dans la préparation du Grand Oeuvre.


Page précédente | Retour au sommaire du cas | Page suivante