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1 - Pierre rencontre l'Anima

Récit de Pierre

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Pierre se présente

Une amie de la Fontaine de Pierre m’a conseillé votre site. J’ai lu les principaux articles et je suis depuis quelques temps les échanges sur le Forum. Après avoir longtemps hésité à écrire, ce soir je me lance.

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Je pensais que l'expérience que je viens de traverser était personnelle. Je pensais également - et je le pense toujours - que mon aventure est trop marquée par mes naïvetés et qu’elle manque d’objectivité et du recul nécessaire. Mais cette amie m'a fait comprendre que ce que je viens de vivre ne m'appartient pas en propre. Mon expérience est évidemment personnelle et empreinte de subjectivité, mais malgré cela elle constitue un exemple de ce que Jung appelle « la confrontation avec l’anima ». Cette amie me conseille également d’écrire et de débattre avec d’autres précisément pour prendre du recul et objectiver. Je ne dois pas craindre, d’après elle, d’exprimer ce que j’appelle mes naïvetés et d’aller au bout de leur logique. Jung lui-même n’a-t-il pas pris le risque d’être "débile" au point de passer son temps à ramasser des petits cailloux sur les bords du lac de Zurich pour construire des maisons et aller ainsi au bout de "sa logique" ?

Ce site a été conçu pour être un lieu de rencontres et d’échanges entre tous ceux qui trouvent inspiration dans l’œuvre de Jung et de ses continuateurs. Ce qui nous intéresse ici, ce ne sont pas vraiment les débats théoriques, ce sont plutôt les travaux pratiques, les expériences, les témoignages vivants des amateurs, de préférence éclairés comme l'est Pierre.

D’abord, je me présente. J’ai 48 ans, marié, 2 enfants, ingénieur de formation, chef d’entreprise. Depuis longtemps, je m’intéresse à tout ce qui touche au développement personnel et à la psychologie. Cela m’est bien utile pour manager mon entreprise, mais cela m’intéresse aussi beaucoup personnellement.

Après une première moitié de la vie consacrée à s'affirmer dans le monde extérieur, voilà la crise de la maturité qui apparaît et qui amène ce chef d'entreprise à s'intéresser à des valeurs plus intérieures.

Durant un an et demi environ avant l’aventure que je vais vous raconter, mes rêves furent dominés par des scènes de délinquance, des voyages dans lesquels j'étais encombré de bagages divers et variés, de voitures à trois roues, etc. ...

Ces rêves renvoient à une confrontation avec l'Ombre et à une invitation à un certain dépouillement.

La première fois que l'anima m'apparut en rêve, la scène fut très brève : "Anne, une jeune fille que je ne connais pas, me dit de me contenter d'être ce que je suis et de ne pas me laisser aller à des politesses surfaites et ridicules, nos mains se joignent pour traverser la route.". Le message m’est apparu simple : "choisis l'être et non le paraître". Est-il conseil plus sage ? Dans le rêve, la jeune fille, image de l'anima, m'accompagnait, nos mains se joignaient, ce n'était pas elle qui me prenait par la main, le geste n'avait rien de maternel ni de protecteur, il s'agissait plutôt d'un signe de partenariat, de compagnonnage mystique. Mon interprète de rêves m’a expliqué que l'anima apparaissait là sous son aspect positif de guide vers l'être profond, de médiatrice entre le moi et le soi.

Ce rêve marque clairement la nouvelle orientation que doit prendre la vie de Pierre. C'est l'anima qui désigne la voie, après des mois de rêves de bagarres avec des délinquants et de transports de bagages inutiles. L'essentiel désigné à Pierre, c'est l'être, c'est la vie intérieure.

Cette apparition s’est faite à une période de grande lassitude de ma part. Elle m'a beaucoup aidée. La veille de ce rêve, je me demandais justement si la putréfaction dont parle Jung et les alchimistes n'était pas précisément ce sentiment de saturation, cet écrasement sous les problèmes que j'étais en train de vivre. A partir de cette rencontre en rêve, j'ai suivi l'exemple de Jung, j'ai engagé le dialogue avec l'anima, j'ai fait face à mes sentiments, à mes humeurs, à mes désirs, à mes images et je me suis efforcé de considérer l'anima comme un personnage intérieur réel, et non comme une entité abstraite. Durant l'année qui suivit, d'autres rêves mettant en scène l'anima survinrent.

Jung écrit dans Ma vie : "Ce qui surtout importe, c'est la différenciation entre le conscient et les contenus de l'inconscient. Il faut en quelque sorte isoler ces derniers, et la façon la plus facile de le faire est de les personnifier, puis d'établir, en partant de la conscience, un contact avec ces personnages. Ce n'est qu'ainsi qu'on peut leur soustraire de leur puissance, qu'autrement ils exercent sur le conscient."


Elle fait irruption dans la vie de Pierre

Jusqu'au jour où « Elle » s'est présentée à moi pour un entretien d'embauche. C'est « Elle » que j'ai embauchée, évidemment.

La confrontation est telle que le Soi - le grand metteur en scène, "le grand architecte de l'univers" - met en scène une personnification de l'Anima.
Citons Élie Humbert (L'homme aux prises avec l'inconscient) : "La psyché se représente elle-même". Elle se dit, se fantasme, mais aussi se met en scène. Elle est image et mot, elle est aussi action et chose. Se représentant, elle se change. Elle est histoire d'un monde où la matière et le psychisme sont assez semblables pour s'unir dans l'unique mise en scène.

D'emblée, je sus que j'étais en train de faire une projection. Je le notais dans mon journal. Pourtant ce n'était ni la plus belle, ni la plus brillante des femmes que j'étais amené à côtoyer. Celle que je désigne par « Elle » a exercé sur moi, dès le début, une véritable fascination. J'avais l'impression de la connaître depuis longtemps (ce qui était faux) et de pénétrer facilement son regard (ce qui était vrai). Curieusement, j'étais parfaitement conscient de survaloriser la relation et de faire une projection de l'anima sur elle. Cet état de fascination me rendait captif. Je sacrifiais beaucoup de temps, que j’aurais dû consacrer à mon entreprise, à la relation avec Elle. Je ne m'en défendais pas, je m'en amusais plutôt, songeant à Ulysse captif de la magicienne Circé alors que ses compagnons de route étaient transformés en pourceaux. Jamais, moi-même, je ne fus transformé en quoi que ce soit qui ressemble de près ou de loin à un pourceau. Si la fascination par l'anima se traduit couramment par des aventures sexuelles, mon histoire personnelle n'est pas l'histoire d'une coucherie. Non pas que je m'en défende car j'ai quelque chose contre les coucheries, mais simplement parce que le problème ne s'est pas posé en ces termes.

Au sujet de la projection, on peut se reporter à l’excellent livre « Reflets de l’âme » de Marie-Louise von Franz. Pour elle, la projection est un phénomène très général, il n'y a pas lieu de s'en défendre complètement, il faut surtout en être conscient en sachant ce que l'on fait. On peut citer en exemple celui de Jung qui, le matin à Bollingen, aimait parler à ses casseroles. Nul doute qu'il savait faire la part des choses et qu'il était capable de distinguer les casseroles de ce qu'elles représentaient pour lui. Cela ne l'empêchait pas de s'adresser à elles comme si elles étaient vivantes. Il faisait en quelque sorte consciemment de l'"animisme appliqué" à la confrontation avec l’inconscient.

Me voilà donc fasciné. Curieusement, dans le même temps, mes lectures du moment m'expliquaient ce que j'étais en train de vivre. En effet, alors que j'étais assez familier avec l'œuvre de Jung, je lisais comme pour la première fois, et presque chaque jour, "qu'on ne connaît l'anima que par projection sur autrui", "que la rencontre réelle de l'autre est indispensable". J'avais pourtant déjà lu ces textes de Jung, mais jamais la nécessité de la confrontation réelle à un autre être réel ne m'était apparue ainsi. Je pensais que la confrontation avec l'inconscient était une affaire intime qu'on pouvait mener tout seul, en autosuffisance. Il était clair pour moi qu'Elle était le reflet de l'anima, ce qui, à elle, ne lui enlevait rien en propre. Longuement, je me suis interrogé sur le retrait des projections. J'ai longtemps cru qu'il s'agissait de ne plus "investir" dans celle sur laquelle on fait cette projection, qu’il s’agissait en quelque sorte de "la désactiver" par la prise de conscience que la charge active vient de nous et non d’elle. Aujourd'hui, les choses ne me paraissent plus aussi simples.

Pierre se confronte à l’Anima à travers une femme réelle en sachant pertinemment qu’elle est à la fois archétype et femme singulière.
Si l'on regarde la projection, sous l'angle du fameux "solve e coagula" (dissous et coagule) des alchimistes, il faut d'une part être capable de dissoudre la projection et reconnaître l'esprit dont elle est le support, c’est le « dissous » et d'autre part accepter de laisser l'esprit se coaguler dans sa projection et prendre une forme visible, c’est le « coagule ». Le double mouvement est essentiel.

La nouveauté de la situation qui se présentait à moi était son intensité, sa "numinosité", son existence durable dans la vie extérieure. Cela, c'était très fort, complètement nouveau, déroutant et débouchant sur un conflit de devoirs.


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