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Billet d’humeur n°9 - 23 février 2002

La foule

La solitude de l'aventurier

Quiconque est engagé dans l'aventure intérieure de l'individuation se trouve en butte à la solitude et à ce sentiment d'impuissance à communiquer sur ce qu'il vit. Personne avec qui parler de cette confrontation intime avec les remontées du fond ! Cette solitude structurelle est génératrice de doutes sur l'authenticité de ce qui se vit. Suis-je " normal " ? Ce que je vis est-il dans l'ordre des choses ou bien suis-je empêtré dans les méandres de ma subjectivité ? Avoir envie de communiquer sur des expériences aussi fortes est tout à fait naturel, mais n'est pas chose facile. Pourtant, il est aujourd'hui plus facile qu'hier de parler avec autrui de l'expérience de l'individuation.

C'est d'abord une question de langage. Il faut s'affranchir du jargon psychologique, il faut trouver les mots justes, il faut " parler vrai ".

C'est aussi une question de courage. Oser s'affirmer dans sa différence et oser être ce que l'on est - au besoin en rupture avec les modèles collectifs - est une étape de l'individuation. Il ne s'agit pas de verser dans le prosélytisme, il n'y a rien à forcer, il y a à vivre de plus en plus en accord avec soi-même, au fur et à mesure que la force intérieure croît et nous permet de nous affirmer sereinement.

Si l'on en juge par les messages reçus, Mérelle.net permet aux aventuriers de pratiquer une première sortie de leur solitude, il leur permet d'exprimer ce qui les travaille et d'échanger sur ces sujets intimes dans un environnement protégé et bienveillant. Mérelle.net permet de toucher du doigt que nous ne sommes pas seuls au monde à avoir ce genre de préoccupations, il nous aide à affiner notre expression, il contribue à nous donner les repères indispensables pour trouver confiance en nous. Ici, cependant, pas de maîtres ni de disciples, pas de gens qui savent et d'autres qui ne savent pas. Nous sommes tous des compagnons. Chacun apporte son expérience personnelle, son savoir-faire, son témoignage. Il n'y a pas d'autre maître que le Soi qui opère pour faire de chacun de nous un être entier.

Commentaires du billet d'humeur n° 9





Citation du mois



" Parfois, je ressentais comme une étrange envie de parler sans bien savoir de quoi. Je voulais essayer de poser des questions pour savoir si d'autres personnes avaient aussi fait de telles expériences. Ou bien je voulais donner à comprendre qu'il existe des phénomènes curieux dont on ne sait rien. Je ne réussis jamais à en trouver, ne serait-ce qu'une trace, chez autrui. Et ainsi j'eus le sentiment d'être réprouvé ou élu, maudit ou béni.

Et pourtant il ne me serait jamais venu à l'esprit de parler directement de mon aventure, non plus que du rêve du phallus dans le temple souterrain, ou du petit bonhomme sculpté, même alors que je m'en souvenais encore. Je savais que cela m'était impossible. Je n'ai parlé du rêve du phallus que lorsque j'ai eu atteint ma soixante-cinquième année. Les autres événements, peut-être les ai-je communiqués à ma femme, mais tardivement aussi. Pendant des dizaines d'années, un tabou rigoureux provenant de l'enfance les scella.

Toute ma jeunesse peut être envisagée sous le signe du secret. Cela me plongeait dans une solitude presque insupportable et je considère, aujourd'hui, que ce fut un véritable exploit que d'avoir résisté à la tentation d'en parler à qui que ce fût. Ainsi, dès lors, ma relation avec le monde se trouva préformée telle qu'elle est aujourd'hui : aujourd'hui aussi je suis solitaire, car je sais des choses qu'il me faut bien mentionner, que les autres ne savent pas, et le plus souvent ne veulent pas savoir. "


Carl Gustav JUNG, Ma vie, pp 61-62




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