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Billet d’humeur n°8 - 16 décembre 2001

Dionysos

Le retour de Dionysos

C'était samedi dernier, 8 décembre 2001, au colloque organisé par le Groupe d'études CG Jung sur le thème de la (post-)modernité de Jung. Michel MAFFESOLI a expliqué à quel point la tradition judéo-chrétienne du salut structure la pensée occidentale moderne. L'idée récurrente est que nous vivons dans une vallée de larmes et que la vraie vie est pour demain, dans la cité de Dieu. Marx dit quelque chose de comparable : " la société parfaite, c'est pour demain ". Tout le politique repose sur le principe d'amélioration : on stigmatise ce qui est pour dire ce que le monde doit être. On va de la barbarie vers la civilisation, du mal vers le mieux, c'est dans cette problématique aussi que s'enracine le développement personnel. Nous tous qui sommes contaminés par le grand mythe progressiste, nous avons tendance à répéter " non à ce qui est, la vraie vie est ailleurs ".

C'est la lutte de la lumière contre les ténèbres. L'ombre n'a plus sa place.

Jung ouvre à une autre dimension dans laquelle l'individu ne s'inscrit plus dans le projet, mais dans le vécu et dans l'acceptation de la réalité. Ce qui est en jeu avec lui, c'est le non-dépassement du mal. Alors que le propre de la modernité, c'est le futur - " demain, on rase gratis ! " - il s'agit ici d'intégrer le présent. L'entièreté de l'être à laquelle Jung invite est une mise en synergie des archaïsmes et de la 'modernité' pour vivre pleinement le présent. C'est parce que Dionysos est cette figure de l'enfant éternel, ludique, destructeur et en même temps régénérateur, à l'opposé de la tradition judéo-chrétienne et du mythe progressiste que Jung disait que la voie de l'individuation est une voie dionysiaque. C'est dans ce même esprit que Maffesoli en est venu à énoncer avec gourmandise : " C'est avec humour qu'il faut avoir l'humilité de penser l'humus dans l'humain. Là est le vrai humanisme de la post-modernité "





Citation du mois



" Avec plus ou moins de sérieux ou d'intérêt, le productivisme, dans ses diverses formes, est maintenant l'objet de critique. Le travail, le progrès ne sont plus des impératifs catégoriques. Économistes, experts, philosophes s'accordent pour constater que même dans une perspective linéariste de l'histoire, ces formes ont fait leur temps. La suspicion pèse sur Prométhée. [...]

La jouissance du présent, le carpe diem, deviennent des valeurs massives et irrécusables. [...] Le retour de Dionysos, ainsi compris, s'inscrit dans la guerre des dieux qui, à l'image de l'épopée homérique, se traduit dans des fortunes diverses et contradictoires. [...] Il n'y a pas un enfer et un paradis qu'il faudrait combattre ou conforter, il n'y a pas un Dieu unique avec son nécessaire envers, nous sommes confrontés à un panthéon exprimant bien la pluralité de notre vécu. C'est bien là tout le tragique et toute l'incertitude de l'existence sociale. [...]

Ne pas donner sa place aux forces du plaisir, c'est s'exposer au féroce retour du refoulé. Il en est de la dépense comme de la violence, la brider dans son expression c'est en encourager l'irruption perverse et exacerbée. La sagesse des anciens est ici de bon aloi qui tolérait une certaine " part d'ombre ", qui la ritualisait et ainsi s'en rendait maître. Les dionysies grecques n'avaient pas d'autres objectifs en permettant le libre cours des passions tumultueuses. [...] Face au laborieux Prométhée, il faut montrer que le bruyant Dionysos est aussi une figure nécessaire de la socialité. La question désormais n'est plus de savoir comment maîtriser la vie, mais comment la dépenser et en jouir."


Michel MAFFESOLI, L'ombre de Dionysos, contribution à une sociologie de l'orgie,
Librairie des Méridiens, Klincksieck et Le livre de poche (1991)




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