Billet d’humeur n°27 - 28 janvier 2006
La trahison
On n'est trahi que par ses amis, jamais par ses ennemis, ni par des gens indifférents.
La trahison ne s'exprime qu'au sein même de la confiance. Plus grande est la confiance, plus cruelle est la trahison. La trahison, c'est l'ombre de la confiance.
Être en confiance, c'est s'ouvrir à l'autre, poser les armes, ouvrir son intimité, être assuré de l'inoffensivité de l'autre. Être en confiance dans une relation amicale ou amoureuse, c'est croire en la pérennité du lien.
Être trahi, par contre, c'est être projeté brutalement, malgré soi et contre toute attente, hors du confort de cet état de confiance. Être trahi, c'est être chassé du paradis, de ce paradis dont on ne finit pas d'être chassé.
La trahison, c'est une blessure, une fracture profonde, douloureuse, dans mon entière confiance en la bienveillance du monde ou de l’autre.
La trahison m'apparaît comme une étape incontournable sur le sentier de l'individuation.
La grande question qui se pose alors est de savoir ce qu'il faut faire de cette blessure.
Faut-il la laisser transformer l'amour en haine ?
Faut-il la laisser m'enfermer dans un état de complaisance morbide vis-à-vis de moi-même ?
Ou bien cette blessure va-t-elle me mettre en situation de me dépouiller et de me reconstruire ? Enfermement ou ouverture ? telle est la question.
Cette plaie dois-je chercher à la guérir ? Ou bien dois-je la porter béante ?
Cette épreuve, ne porte-t-elle pas à elle seule tout le sens de l'individuation ?
Après avoir été trahi par Judas, renié par Pierre et abandonné par son Père, que fit Jésus ?
La trahison le ramène dans le monde de la dualité et le met face à sa solitude. Jésus est seul sur la croix lorsqu'il crie « Père, pourquoi m'as-tu abandonné ? » Pourquoi tout le monde l'a-t-il trahi, jusqu'à son Père, être sacré entre tous, le moins susceptible de trahison pourtant, celui en lequel il a placé l'entièreté de sa confiance ?
Qu'est-ce qui peut émerger de cette solitude essentielle à laquelle Jésus est confronté ?
Quel sens cela a-t-il de se retrouver ainsi seul, absolument seul ?
Est-ce là, est-ce dans cette béance, est-ce dans cette solitude irréductible que l'on doit s'établir ?
Est-ce là, seul, fondamentalement seul comme le Seul est seul, que je dois poser le socle de l'être en émergence que je suis ?
Et là, au-delà de sa blessure, encore faire un pas, encore marcher, rester debout et marcher encore, ne pas se laisser abattre !
Être sujet !
Être sujet, et là, à la pointe de sa blessure, dans ce moment extrême, quand tout nous a lâché, est-ce là qu'il faut affirmer son humanité ? est-ce là qu’il faut dire « je » ?