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Le bousier

Rémi Pasquet, le 25 janvier 1999.

Quand Vivant épousa Vie, un beau branle-bas retentit à tous les échos du firmament.

Durant plusieurs nuits-lumière, les étoiles explosèrent, les galaxies tourbillonnèrent et les comètes fusèrent. Tant dansèrent les astres qu'ils ne virent pas les tourtereaux s'éclipser à travers l'espace-temps. Le remue-ménage enfin s'apaisa. On chercha les jeunes mariés aux quatre coins de l'univers. En vain. Nul ne les revit jamais plus.

On affirma dans les hautes sphères qu'ils avaient disparu, au-delà de l'espace-temps, vers l'inaccessible Empire de l'Éternité.

Les créatures, pour la plupart, se sont résignées depuis à l'absence des époux divins. Elles n'évoquent plus leur disparition.

Tel n'est pas le cas du bousier poussant à reculons sa boule de bouse. Le rétrograde va répétant que les mariés de l'an zéro se dissimulent parmi les êtres mortels. Mais il n'est pas entendu des importants. On dit qu'il radote et que ses vaticinations n'ont pas de sens. Il ne parle d'ailleurs qu'à mots couverts. Il ricane quand les prétentieux l'interrogent sur le destin des époux mythiques et se plaît à les dérouter.

- " Allez donc savoir, ils ont peut-être disparu dans un trou noir ! "

Ou bien :

- " Qui sait s'ils ne sont pas changés en neutrinos passe-muraille ?

Le bougre se donne un air de savoir sans savoir qui agace les adeptes sérieux. Dépités, ils ne le prennent pas au sérieux. Ils s'éloignent un peu tourneboulés, la tête dans les étoiles. Notre éboueur bourru, quant à lui, tourne et retourne sa boule de matières en maugréant :

- " Ces têtes folles n'entendent rien. "

Mais infatigable tourneur, il ne se laisse pas détourner de sa noble tâche. Il roule et roule encore sa sphère de vie. Puis il creuse, puis il enfouit la merveille, puis il s'enfouit avec elle.

Dans un temple souterrain, il célèbre le saint mystère de la transformation.

Il revêt la dignité de prêtre récupérateur.

Il consacre la part de soi la plus méprisée.

Après lui avoir donné la forme la plus parfaite, il en offre la substance à l'univers. Il porte le déchet au pinacle de la création, au centre de tout. Puis il communie, puis il consomme, puis il digère.

Le saint coprophage recycle les matières.

Sa longue patience masticatoire n'a d'égal que le long tortillon qui s'échappe de lui vers un autre cycle, une autre ronde, une autre histoire. Il ne quitte la table du festin que l'œuvre achevée, la boule entièrement recyclée.

Dans le temple obscur et presque vide à présent, le pieux ermite prend un repos mérité. Il attend la visite habituelle. Vie et Vivant ne tardent pas. Une lueur pâle éclaire leur beauté naturelle. Ils murmurent des mots de partout.

- Vivant : " Merci, Scarabée sacré, merci de nous avoir façonné un si bel habitacle. "

- Vie : " Ta noire carapace renferme le plus tendre des cœurs. "

- Vivant : " Merci de nous reconnaître, de nous percevoir, de te nourrir de nous. "

- Vie : " Tu honores en nous la divine matière. "

- Vivant : " Tu en fais ta substance. "

- Vie : " Tourne toujours ta boule de bouse, infatigable bousier. "

- Vivant : " Le trivial et le sacré en toi s'unissent. "

- Vie : " Ton œuvre rend sublime ce qui paraît banal. "

- Vivant : " Tu es le prince du déchet, le prince des petits riens. "

- Vie : " Nous n'attendons des êtres qu'un peu d'attention. "

- Vivant : " Tu es le simple attentif. "

- Vie : " Nous avons élu en toi un séjour d'ombre et de lumière où ne peuvent nous deviner que les âmes simples. "

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