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Billet d’humeur n°11 - 19 mai 2002

"Meurs et deviens !"

Cérémonie secrète, un film de Joseph Losey

L'Ombre, c'est ce que j'ai rejeté en me construisant. L'Ombre s'est construite en même temps que Moi, elle comprend tout ce que j'ai refoulé pour m'adapter à mon environnement familial et social, tout ce que je n'ai pas développé, pas parce que ce n'était pas acceptable, mais tout simplement parce que je ne pouvais pas tout faire. Aujourd'hui, cette Ombre s'est constituée en adversaire intérieur et elle m'interpelle par la tension qu'elle crée en moi.

Qu'ai-je à lui opposer ? Si ce n'est ma bonne conscience et la belle image que je me fais de moi-même !

Ce Moi narcissique auquel je m'identifie volontiers subit de plein fouet les assauts de l'Ombre. Et du coup, je relativise les valeurs auxquelles j'étais attaché, je perds mon assurance, je perds mes repères, j'en viens à me dégoûter, je sens que je me désagrège, je me sens comme en prison, je suis seul. Suis-je le plus malheureux des hommes ? Assurément !

Soit, mais j'existe ! Mais au fait qui suis-je ?

Depuis que j'ai vu le revers de la médaille de ce héros que je m'imaginais être avec tant de complaisance, depuis que je ne m'identifie plus à des images de moi, je commence à me vivre sans me définir, je commence à me vivre sujet. La fin de mon Moi imaginaire n'est pas mon anéantissement ni la fin du monde, je peux encore dire 'je'. J'ai l'impression que je vis plus au large, que je respire mieux et que je comprends mieux les autres. J'ai l'impression d'avoir les pieds sur terre et de vivre pleinement, ici et maintenant. Je comprends Élie Humbert lorsqu'il dit : " Dans cette perspective, la psychanalyse est peut-être l'art de perdre ses illusions dans un accroissement du goût de vivre ".

Commentaires du billet d'humeur n° 11





Citation du mois



J'ai gagné la certitude, en cours de route, que les catastrophes sont là pour nous éviter le pire. Et le pire, comment pourrais-je exprimer ce qu'est le pire ? Le pire, c'est bel et bien d'avoir traversé la vie sans naufrages, d'être resté à la surface des choses, d'avoir dansé au bal des ombres, d'avoir pataugé dans ce marécage des on-dit, des appa-rences, de n'avoir jamais été précipité dans une autre dimension. Les crises, dans la société où nous vivons, sont vraiment ce qu'on a encore trouvé de mieux, à défaut de maître, quand on n'en a pas à portée de la main, pour entrer dans l'autre dimension. Dans notre société, toute l'ambition, toute la concentration est de nous détourner, de détourner notre attention de tout ce qui est important. Un système de fils barbelés, d'interdits pour ne pas avoir accès à notre profondeur.

C'est une immense conspiration, la plus gigantesque conspiration d'une civilisation contre l'âme, contre l'esprit. Dans une société où tout est barré, où les chemins ne sont pas indiqués pour entrer dans la profondeur, il n 'y a que la crise pour pouvoir briser ces murs autour de nous. La crise, qui sert en quelque sorte de bélier pour enfoncer les portes de ces forteresses où nous nous tenons murés, avec tout l'arsenal de notre personnalité, tout ce que nous croyons être.

Christiane Singer, Du bon usage des crises




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