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4 - Vie et raison

Récit de Pierre

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Le grand rêve de Pierre

Durant cette période, je fis aussi personnellement un grand rêve qui, avec le recul, a pris beaucoup de sens. Il éclaire véritablement cette étape de rencontre avec l'anima :

« On est en voyage. On arrive dans une petite gare du centre de la France : Vierzon. On fait la queue à un guichet pour prendre notre correspondance. Ça s'éternise. On croit qu'on nous appelle à un autre guichet, on y va, nous voilà en train de refaire la queue. Il est presque 17h, notre train part vers 17h30 pour une ville de l'est de la France (qui commence par B, me semble-t-il), je crois qu'il y a encore un changement quelque part sur le trajet et une correspondance à attendre. Nous sommes quatre à faire la queue : un couple constitué, une jeune femme et moi, je dis à cette dernière : 'faisons comme si nous étions ensemble pour prendre le billet, ça fera gagner du temps'. La guichetière est remplacée par un guichetier, je paie la place pour 2, le guichetier prend mon billet de 100F et part en maugréant 'vous, je vous ai à l’œil'. L'ambiance générale est à l'anxiété de manquer le train, et à l'impatience devant la lenteur aux guichets. Ce rêve me laisse une très forte impression. »

Cette gare du rêve, c'est un carrefour. On est proche du centre (de la France), du Soi. Le problème est au guichet où, a priori, nous sommes disposés à payer (de notre personne) pour aller plus avant, mais nous sommes freinés par des tracasseries administratives. Il est 17h. L'hexagramme 17 du Yi King, la suite, explique qu'un "homme d'un certain âge s'incline devant une jeune fille et lui témoigne de la considération ; de cette manière, il l'émeut si bien qu'elle le suit. La suite obtient une sublime réussite, la persévérance est avantageuse. Gaieté unie au mouvement. Ne pas résister, suivre le courant". Mon train part à 17h30. Voyons donc le n°30, ce qui s'attache, le feu. Le 30 invite à faire le point, à mettre de l'ordre dans sa tête, à opérer des distinctions entre les choses. C'était le cas dans la réalité où s'amorçait une période d'efforts et de prises de conscience, des rencontres, des séparations, des expériences inhabituelles. Le voyage vers l'est me paraissait indiquer que je m’orientais vers une nouvelle naissance, vers une nouvelle lumière. Le 4 me renvoyait à la totalité des processus psychiques conscients et inconscients dont 2 forment déjà un couple, et les 2 autres - la jeune fille et moi-même, l’homme d’un certain âge - nous nous associons pour aller plus vite, c'est moi qui paie, c'est moi qui fait les frais de l'étape à franchir ensemble. L'objectif, en constituant ce couple de circonstance, est de gagner du temps dans le transit. La jeune fille apparaît ainsi comme un ‘facilitateur’ pour franchir certaines étapes de l'individuation. Je notais avec attention la cohérence entre cette association et le sens de l'hexagramme 17, ainsi qu'avec une interprétation évidente sur le plan de l'objet où la jeune fille représente Elle. Quant au nom de la ville - Vierzon - j'avais longuement cherché comment le lire et je n'avais trouvé qu'une seule lecture : vie - é - r'son, soit "la vie est raison", ce qui me paraissait particulièrement réducteur et insatisfaisant. La vie ne se réduit pas à la raison ! Quinze jours après, un autre rêve est venu me donner la clé de l'énigme. Ce rêve, le voici : « Feu vert pour les travaux prévus. La décision a été prise par moi en direct. Le jeu de mots par moi aussi. Il est question de dictée et d'orthographe. Le problème est de bien écrire "… et …" au lieu de "… est …", sinon on fait un contresens. Je comprends alors qu'il faut lire "vie et raison" au lieu de "la vie est raison" ». Avec "vie et raison" le rêve précédent s'éclairait, il renvoyait à une dialectique et invitait à une conciliation, celle de la vie et de la raison, du sentiment et de la pensée, de l'homme et de la femme, de l'Éros et du Logos. On se retrouvait ainsi dans le contexte de la quaternité composée d'un couple constitué puis d'un homme et d'une jeune fille qui décident de se mettre ensemble pour gagner du temps dans le voyage.

Notons ici un exemple intéressant du pouvoir autocorrecteur des rêves qui vient atténuer le risque pris à chaque tentative d'interprétation. Une telle complicité entre le "dedans" et le "dehors", entre l'inconscient et le conscient est caractéristique de certains moments de l'aventure intérieure qui font dire qu'on est guidé par un "maître intérieur".

Ce rêve confirmait Elle dans sa fonction de support de l'anima. Elle devenait ainsi pour moi comme un ‘miroir aux alouettes’ dans lequel je venais contempler à quel point j'existais, par l'émotion que j'étais capable de susciter chez elle à mon sujet. Je me disais aussi que j'étais engagé dans ma quête, et donc que je devais dénoncer mes projections et sacrifier mes intérêts et mes affections légitimes. Je pensais que tel pourrait être le sens de ‘l'œuvre au noir’, et la conséquence de ‘l'entrée dans l'athanor’. Je me disais aussi que je devais veiller à ne pas massacrer des innocents physiques autour de moi ; dénoncer mes projections certes, mais pas détruire leurs supports en même temps. Je me devais de protéger Elle de moi-même, elle qui, libérant ma parole, me guidait pour cette étape. Je devais en quelque sorte lui payer mon tribut en l'aidant et en la protégeant.

Noter ce sentiment de dette de Pierre, ce besoin de devoir payer son viatique.
Au sujet de ce vocabulaire alchimique, on pourra consulter "Psychologie et Alchimie" de CG Jung ou "La voie de la transformation selon Jung et l'alchimie" d'Étienne Perrot

Durant cette période, je relisais "Ma vie" de Jung et ce qu'il écrit de sa confrontation avec l'anima, du dialogue intérieur qu'il établit avec elle, des lettres qu'il lui écrivait. Je pratiquais de même et, en parallèle de mes échanges avec Elle, je dialoguais avec l'anima, je lui avais donné un nom et je m'adressais à elle comme à une personne. Tout comme Jung, à des moments de grand trouble, je lui demandais ce qui lui arrivait, pourquoi cette angoisse, pourquoi ce vague à l'âme, je lui demandais de m'expliquer. D'explications à proprement parler je n'en recevais pas, mais l'angoisse ou le vague à l'âme disparaissait assez rapidement. J'avais trouvé un moyen de réguler mes émotions.

Dans la démarche de Pierre, on ne peut pas ne pas noter une certaine imitation de Jung, comme il existe des "imitations de Jésus-Christ". "Ce que Jung nous a apporté, ce n'est pas une doctrine, mais une voie." Étienne Perrot, La voie de la transformation d'après CG Jung et l'alchimie.

Elle était médiatrice. Support de ma projection, Elle me conduisait à m'expliquer intérieurement avec mes états d'âme et à comprendre beaucoup de choses ; en tous cas à avoir le sentiment de comprendre, et celui de la lire, Elle, comme à livre ouvert. A travers cette expérience numineuse, je sentais que je développais une sensibilité particulière faite de synchronicités fréquentes, d'éléments de prophétisme et de la découverte de ce que j’appelais avec d’autres une érotique de l'âme, bref je me découvrais porteur de sens. Avais-je trouvé une partenaire avec qui progresser ensemble, s'entraider, se stimuler ? Était-elle la fameuse ‘soror mystica’ dont on parle dans les livres, celle avec laquelle on va vers les non moins fameuses ‘noces chymiques’ ? En quoi consistent celles-ci ? Ce qui était sûr pour l'instant, c'est qu'Elle me permettait d'objectiver la confrontation avec l'anima, qu'elle facilitait l'exploration de mon inconscient.

La culture de Pierre rend son récit intéressant mais en même temps, on peut se demander si celle-ci ne conditionne pas fortement ses interprétations.


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