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Billet d’humeur n°7 - 15 novembre 2001

Ombre !

Voltaire

Confrontation avec l'Ombre !

Tant que la confrontation se fait au niveau du concept ou au niveau de l'image dans un rêve, la situation est supportable. Mais quand, ici et maintenant, dans ton miroir intérieur, tu te retrouves face à face avec toi-même avec une figure de salaud - oui, de salaud ... ou de minable, c'est pareil - là, tu ne joues plus dans la même cour qu'avant. L'individuation accomplit son œuvre ! Cette image de toi qui te déconsidère à tes yeux, en fait, elle te déconstruit. Elle te démantèle, elle te met en pièces. Tel est l'effet de la confrontation à l'ombre, et ce n'est pas une partie de plaisir.

S'il est sain d'avoir le courage de boire la coupe jusqu'à la lie, il ne faut pas pour autant se laisser démolir par l'épreuve. Il importe pour cela de ne pas laisser ces sentiments de désorientation et de dégoût de soi-même occuper tout l'espace intérieur.

Ce qui est en cause, c'est la mort d'une image plutôt avantageuse de soi. Oui, il s'agit d'un sacré coup porté à son narcissisme naturel. Il s'agit en fait d'un travail à l'envers : alors que pendant la première partie de ta vie, tu t'étais construit une certaine image de toi parce que tu avais besoin de ce reflet valorisé de toi pour t'affirmer dans la vie, aujourd'hui, le cours logique de l'individuation veut que tu fasses le travail à l'envers et que tu vives ta déconstruction.

A ce moment-là, si tu te poses la question : " finalement, qui suis-je ? quel est ce moi auquel je me suis identifié ? ", la réponse qui vient curieusement semble être : " ce moi auquel tu tiens tant et auquel tu t'identifies, finalement, c'est d'abord une construction imaginaire ". C'est le sacrifice de ce moi imaginaire qui paraît être la cible de l'assaut de l'ombre.

Commentaires du billet d'humeur n° 7





Citation du mois



L' " ombre " de Jung et le sourire de Voltaire

Dans le salon d'attente de la maison de Küsnacht où Jung avait son cabinet de consultation, on voyait une réplique du fameux buste de Voltaire par Houdon [photo ci-dessus]. Fin 1955, un collègue de Bâle, le Dr Théodor Bovet, écrit à Jung, alors octogénaire, que rien plus que le sourire cynique de Voltaire ne lui paraît jurer avec l'amabilité et la chaleur humaine qui accueillent le visiteur - ami ou patient - à son entrée dans le cabinet de Küsnacht. " Comme si, écrit Bovet, vous aviez laissé votre ombre dans le salon d'attente. " Il faisait allusion, en l'occurrence, à un concept central de la psychologie analytique. Jung lui-même définissait " l'ombre " : " La personnification de toutes les caractéristiques que le Sujet ne se reconnaît pas, bien qu'elles persistent dans son tréfonds psychique, et se manifestent directement ou indirectement: il s'agit donc des aspects négatifs de la personnalité, de ses tendances irréconciliables. " L '" ombre ", c'est la part de culpabilité de chaque individu, englobant aussi, il est vrai, les instincts naturels, légitimes. Il est naturel, partant, que tout travail analytique suppose, dans une première phase, la prise de conscience et l'acceptation de " l'ombre " comme partie fatalement constitutive de l'individu. Dans sa confrontation avec lui-même, Jung s'était de longue date soumis à ce traitement. J'en veux pour preuve l'aveu qu'il fait à Bovet, en réponse à sa lettre: " Je suis disposé à admettre vos propos au sujet du buste de Voltaire [...]. Je considère avec plaisir l'expression moqueuse du vieillard cynique. Il me rappelle à chaque instant la futilité de mes aspirations idéalistes, le caractère douteux de ma morale, la petitesse de mes motivations et l'humain en général, hélas... trop humain ". Voilà pourquoi Monsieur Arouet de Voltaire ne quitte pas mon salon d'attente : de la sorte, les patients ne risqueront pas d'être abusés par l'amabilité du médecin. Mon "ombre" est, en réalité, si vaste qu'il m'a été impossible de la perdre de vue dans le programme de déroulement, de ma vie; tant s'en faut, je l'ai comptée comme une part inévitable de ma personnalité, l'assumant jusque dans ses ultimes conséquences et endossant la responsabilité entière de ces conséquences. Des expériences amères accumulées m'ont contraint à constater que les péchés qui sont les nôtres, ou avec lesquels nous nous identifions, peuvent bien être regrettés, mais ne peuvent être véritablement annulés. " C'est donc que Jung percevait, au verso de sa doctrine thérapeutique, la persistance d'un relativisme voltairien. Peut-être en avait-il déjà le sentiment dès 1929, lorsque, dans une lettre encore, il semblait inviter la gravité scientifique à la détente d'un sourire lucide et impassible: " La science n'est que 1'art de forger des illusions adéquates [...]. Il n'existe pas de choses réelles qui ne soient relativement réelles. "


Andréi Plesu, Cahier de l'Herne, Carl G. Jung