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Billet d’humeur n°16 - 2 mars 2003

Moi + Toi = Soi !

illustration tirée du Rosaire des philosophes, in La psychologie du transfert, CG Jung

Interpellé par l'actualité sur le Forum, j'ai envie depuis quelques semaines de parler du Soi, sans trop pourtant savoir comment. Et voilà que ce matin, en plein milieu de ma salle de bains, paf ! tel un kôan zen, c'est une équation qui flashe :

Moi + Toi = Soi

Une équation à 3 inconnues ! car, bien évidemment, aucun des trois termes n'est véritablement connu.

D'abord Moi.
Qui est Moi ?
"Moi est une putain !" m'a-t-il été répondu un jour, alors que je marchais vers Compostelle. Ce Moi, pétri de vide, fonctionne comme une pulsion à posséder et à s'identifier. Moi dit : mon chien, ma femme, ma bagnole, ma maison, ma douleur, ma réussite, mes idées, la belle image que je me fais de moi, etc ! ... Moi est possédé par ses possessions, il s'identifie naturellement à ce qui l'habite, Moi est une putain qui monte avec le premier venu.

Ensuite Toi.
Qui est Toi ?
Qui est Toi, tel qu'en lui-même ? Pour Moi, Toi est d'abord ce que je projette sur Toi, il est de ce fait le miroir de Moi que tu me tends en permanence. Mais qui es-tu, Toi, l'Autre, dépouillé des habillages de l'Ombre et de l'Anima ou de l'Animus ? Oui Toi, toi qui n'es pas complètement séparé de Moi, je comprends que, pour te rencontrer, je dois te décontaminer de mes mille reflets.

Et puis, il y a Soi,
conjonction de Moi et de Toi, me dit mon équation.
Soi, réunion de Moi et de son environnement !
Soi qui réunit le dedans et le dehors et que, décidément, j'ai beaucoup de mal à penser. Je sens pourtant là comme une étroite et subtile complicité entre les circonstances extérieures et mes états intérieurs, une complicité qui me fait dire que celles-ci ne sont peut-être pas véritablement séparées de ceux-là. Soi m'apparaît ainsi comme un ensemble - un ensemble social et pas seulement individuel - et aussi comme un moteur, un moteur inconscient qui fait que ma psyché, dans sa totalité, mûrit en permanence et se différencie. Tel est le jeu du Soi qui me-se construit en mettant en scène la dialectique du Moi et du Toi. Petit à petit, à travers ce processus dit d'individuation, c'est comme un espace qui s'ouvre quelque part - un espace au barycentre d'un peu tout - un espace que j'apprends à habiter et d'où j'en viens à dire Je, car là est ma maison, là est ma consistance, là Je me sens entier.

Ainsi se fait la pierre, ... en roulant ! cette pierre qui me permet d'accueillir le monde.

Commentaires du billet d'humeur n° 16





Citation du mois



[...] la connaissance de soi fait surgir certaines conséquences éthiques qui non seulement sont des objets de la science, mais réclament en outre une réalisation pratique. Celle-ci dépend toutefois des capacités morales de chacun, auxquelles nous savons par expérience qu'il ne faut pas trop se fier. Leurs limites sont d'ordinaire aussi étroites que celles de la raison. Mais la morale subit le même sort que la raison. Le Soi qui désire se réaliser s'étend de tous côtés par-dessus la personnalité égotique. II est, de par sa nature compréhensive, plus clair et plus obscur que cette dernière et, par suite, place le moi devant des problèmes qu'il préférerait de beaucoup éluder. Tantôt c'est le sentiment moral qui faiblit, tantôt c'est l'intuition, et tantôt l'un et l'autre, jusqu'à ce que finalement le destin en décide. Le moi ne manque jamais d'arguments moraux et rationnels que nous ne pouvons ni ne devons écarter aussi longtemps que nous pouvons nous y tenir. Car nous ne pouvons avoir quelque certitude d'être sur la bonne route que lorsque la "collision des devoirs" se règle pour ainsi dire d'elle-même et que nous sommes transformés en victimes d'une décision prise au-dessus de notre tête ou de notre cœur. C'est là que se manifeste la présence numineuse du Soi, qu'il est sans doute difficile, autrement, d'éprouver. C'est pourquoi l'expérience du Soi représente une défaite de l'ego.

C.G. JUNG, Mysterium conjunctionis, tome 2 p.351, Albin Michel, 1982