Mérelle.net, l'aventure intérieure

Billet d’humeur n°10 - 12 avril 2002

Bollingen

Habiter sa maison

- Où allez-vous comme ça ? Vous allez à Compostelle à pied ?

- Ben oui, répondis-je.

- Eh bien mon pauvre, vous n'êtes pas encore arrivé !

- Oh, mais vous savez, je ne suis pas pressé.

Un kilomètre plus loin, ça recommence.

- Où allez-vous ? D'où venez-vous ? me demande une autre personne

Et puis, une heure après, une brave dame arrête sa voiture à ma hauteur et me demande :

- Où allez-vous comme ça ? Voulez-vous que je vous dépose quelque part ?

- Merci Madame, je marche pour mon plaisir.

Qu'ont-ils donc tous ces gens-là pour s'adresser à moi comme si, dans un voyage, seul comptait le fait d'arriver à destination ? Voudraient-ils me faire dire que " le but du chemin, c'est le chemin lui-même " qu'ils ne s'y prendraient pas autrement.

Je pense bien sûr à ma marche comme à une allégorie de l'aventure intérieure de l'individuation. Je pense aux aventuriers qui demandent ce qu'il y a au bout du processus d'individuation ou qui évoquent le moment où ils auront terminé leur individuation comme si un jour celle-ci serait finie, comme s'il y avait un but qui serait à atteindre dans le temps du projet, après une succession d'étapes ou d'épreuves.

Ma randonnée se poursuivant, le lendemain matin, au cours du petit déjeuner au gîte, un pèlerin me lança au-dessus de sa tartine de confiture : "j'ai rêvé cette nuit que je n'habitais pas ma maison et que je l'avais donnée à quelqu'un que je n'aime pas beaucoup"

Le rêve arrivait à point. Effectivement, l'important c'est d'habiter sa maison ! ... ici et maintenant ! Être et vivre et s'exprimer au moment et à l'endroit où l'on est. Être complètement présent ici et maintenant. L'important du chemin, ce n'est pas d'être tendu en vue d'atteindre le but de son voyage ; l'important, c'est d'être présent dans chaque pas. L'important, c'est d'habiter sa maison !

Commentaires du billet d'humeur n° 10





Citation du mois



Cet homme divin rédempteur du mal est, en toute vérité, la maison aux trésors que la Sagesse a fondée sur la pierre, et le malheur des temps interdit à plus d'un d'entre nous d'éluder la tâche de l'édifier. Cette tâche, vue de l'extérieur, paraît immense, surhumaine, mais les moyens nous en seront donnés au fur et à mesure, si nous l'entreprenons, car cette maison, ce temple de l'homme ne sera pas notre œuvre, mais celle de la Sagesse. La Pierre est divine, elle ne peut donc être confectionnée par la main de l'homme. C'est elle-même qui, frappant à la porte de notre cœur, prend l'initiative de l'opération, et crie, comme l'atteste Hermès dans le Traité d'Or : " Protège-moi et je te protégerai, donne-moi mon dû ". Ce qu'elle réclame ainsi, c'est tout nous-mêmes. Elle veut prendre la direction de notre vie à notre place, opérer en nous son accomplissement qui est en définitive le nôtre et remplir tout l'espace devenu vacant en nous, dans une défaite totale qui est aussi la victoire suprême.

[...] Nous avons à regarder non à côté ou derrière, mais ici, à nous affronter dans notre réalité, à envisager le présent, spatial et temporel. Car c'est ici, en moi, que se trouve, au fond, le dieu, c'est ici que, par son aide, peut être bâtie ma cité nouvelle, c'est ici que se trouve le chemin qui mène au Centre où réside le germe de l'arbre philosophique, arbre de l'homme éternel, arbre du monde, et plus je l'aborderai avec ingénuité, avec humilité, plus j'accepterai que son accès soit immédiat, dans les humeurs, les phantasmes, les songes, les mille aspects de l'existence vulgaire - et non dans de belles considérations sur le septième ciel et les merveilles de la libération spirituelle -, plus je serai assuré d'être dans ce que les alchimistes appelaient la voie de vérité, ma voie, qui n'est celle de nul autre, encore qu'elle doive me conduire au centre où tous les êtres sont consommés dans l'unité et revêtus de la force forte de toute force.


Étienne PERROT, L'aurore occidentale, La maison de la Sagesse pp 131-141