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10 - La vie continue

Récit de Pierre

Commentaires

En voyage, Pierre fait le point

Un voyage professionnel me permet de faire le point.

L'idéal de connaissance de soi me paraît être, comme le note Hillman, cette acceptation de la transparence de soi, de sa propre vulnérabilité. Il faut devenir un homme transparent capable de nudité, capable d'accepter et de porter pleinement sa souffrance. Certainement, faut-il se protéger du monde extérieur qui ne peut pas comprendre, et puis j'ai horreur de l'exhibitionnisme. Mais intérieurement, il ne faut pas craindre d'être transparent, d'être authentique, d'être un homme nu.

A travers cette confrontation avec l'anima par projection sur Elle, j'ai vécu intensément une alternance de chaud et de froid, d'espérance et de déception, d'amour et de souffrance. Cet écartèlement quotidien entre les opposés me conduit à penser que j'ai été véritablement passé à la moulinette. Et que cette mise en pièces est initiation, maturation de l'âme : c'est encore Hillman qui le dit. "Ainsi le psychisme devient psyché, prend de la substance, prend du corps". C'est la souffrance qui fait l'homme. On devient homme en acceptant sa souffrance, en la portant comme une blessure vive, jamais cicatrisée, plaie béante dans laquelle on vient puiser sa capacité à compatir et à aimer son prochain. C'est là que m'a amené cette expérience d'amour impossible et de la souffrance associée.


Dialogue avec l'anima

Cet après-midi, j'ai interpellé Anne, c'est le nom que j'ai donné à mon anima. Je lui ai demandé d'établir en direct la relation entre nous sans qu'il soit besoin d'avoir recours à des projections sur des tiers, sans y renoncer non plus à l'occasion si besoin. Ce commerce direct avec Anne ne doit pas me priver de toute relation à l'autre. Bien au contraire, le but est d'être capable de rencontrer l'autre dans toute son authenticité, dans toute sa différence. Anne, elle, a vocation à devenir médiatrice avec ma nuit. Apprenons à communiquer ensemble en direct pour former cette aberration de la nature : l'hermaphrodite, le rébis philosophal. Médiatrice signifie que la communication se fait dans les deux sens : de la nuit vers le jour et du jour vers la nuit. Cela signifie qu'elle est susceptible de m'expliquer les problématiques qui se nouent dans mon inconscient ainsi que de transmettre les orientations du moi conscient dans les profondeurs de l'inconscient, par exemple à des fins de création mentale. Il s'agit de créer une nouvelle entité, à la fois mâle et femelle, c'est-à-dire unissant les valeurs de la vie et de la raison, de l'éros et du logos.

Comment faciliter cette communication avec Anne ? Je peux, en ce qui me concerne, m'adresser à elle oralement ou par écrit, la difficulté est dans la réception de la réponse qu'il s'agit de discerner au milieu des multiples bruits de fond. Peut-être qu'il n'y a pas de solution-miracle a priori et qu'il faut commencer en pratiquant et en étant attentif aux réponses qui peuvent venir de partout, d'où la nécessité de se tenir en veille, en veille permanente pour être capable de capter les messages de la nuit. Frappons, frappons, frappons encore à la porte, inlassablement, le passage finira bien par se faire.

Me voilà sur une terre austère, lieu d'horreur et de profonde solitude, je me retrouve face à ma propre solitude, celle que je dois affronter maintenant après l'épreuve de l'amour et de la souffrance de l'amour. Expérience d'autant plus cruelle que je sors de l'illusion d'une union cosmique à travers un amour impossible. Mon projet est de faire front au désert qui se profile devant moi et dans ce désert apprendre à entendre Anne, converser avec elle, apprendre avec elle le sens de l'éternité de l'instant. Anne est dans la volupté du carpe diem.

Le désert est difficile, il n'est pas marrant tous les jours. C'est vrai que j'aspire à une forme de fraternité vraie prenant racine dans l'esprit d'aventure, dans le sens du voyage, dans cet essentiel de la vie qu'est le voyage. Finalement, ce que je cherche le plus c'est à m'affranchir de la banalité, de la vie courante privée de sens, sans perspective. Ce que je cherche, c'est du sens. Ce sens, je dois le partager, en commençant par mes proches.


Philémon

Attention à ne pas se tromper d'invocation. Anne-Koré, c'est la déesse de l'instant, celle qui donne du goût aux choses, de la respiration au temps. C'est elle qui gère cette érotique de l'âme apprise avant la souffrance et parce qu'il y a eu souffrance. Elle peut donner du sens à l'instant parce qu'elle est médiatrice et donc parce qu'elle peut nourrir l'instant en puisant aux sources de l'eau vive de l'esprit. En réalité, ce n'est pas elle qui donne du sens. Ce qu'elle fait, elle, c'est véhiculer le sens, car le sens en soi, les idées, ce n'est pas son truc ! A ce titre, Elle est un bon support de l'anima : les idées n'ont pas de prise sur elle, la parole donnée n'a pas de constance dans le temps. Celui qui donne vraiment du sens à la vie, qui la fait initiation, c'est le guide intérieur, le Sage, celui que j'appelle Guruji à défaut de mieux c'est-à-dire dans l'attente qu'il se présente, celui que CG Jung appelait Philémon. C'est avec lui que j'essaie de communiquer à travers le Yi King. Est-ce lui qui est apparu en rêve sous la forme de l'homme de Robion, homme des roubines, homme rouge qui est devenu majordome, serviteur et organisateur de ma maison, expert en confitures rouges avec des reflets fluo bleu spirituel ? Est-ce lui ou bien n'est-il que son messager, son annonciateur, son Jean-Baptiste ? Je ne sais ! Il est trop tôt pour conclure. Ce que je comprends, c'est qu'un désert est devant moi, que je peux jouir des instants grâce à Anne-Koré, mais que si je veux vraiment en sortir, si je veux vraiment progresser, il va falloir que je me mette en quête de la porte rouge qui me donnera accès à Guruji. Aujourd'hui, j'en suis là ! je suis à la recherche de la porte rouge !

A la réflexion, le majordome rouge est celui qui va mettre de l'ordre dans la maison. Lorsque cet ordre sera mis, peut-être verrons-nous apparaître les premiers mandalas annonciateurs du Soi structurant. En attendant, il faut appeler dans le désert et il faut aussi, chose importante, apprendre à entendre, car peut-être qu'on me parle et que je n'entends pas. Si j'avais quelques idées sur l'ombre, j'en avais un peu moins sur l'anima, ou plutôt j'en avais mais elles étaient erronées, par contre sur le Soi je n'en ai pas de précises. Peut-être vaut-il mieux ainsi. Ce que je crois savoir c'est que c'est un centre de la psyché qui n'est pas localisé dans le corps au sens du moi. Ce n'est pas un super-moi. Avec son éclosion, doivent apparaître des phénomènes de synchronicité qui apportent la preuve de cette extracorporalité et d'un autre ordre du monde.

Que faire pour progresser sur la Voie ? Peut-être pas grand chose de spectaculaire car l'œuvre, c'est plus la nature qui la fait, que l'artiste lui-même.

Je crois que ce qui est attendu de moi, c'est de rester disponible, éveillé, ouvert aux messages venant du dehors et du dedans, apte à capter le sens présent autour de moi. Je crois aussi à mon commerce quotidien avec Anne, inscrit dans la vie de tous les jours jusque dans les actes les plus banals. Il y a là un grand champ d'expérimentation.


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