8 - Activation de l’animus
L'Anima activée active à son tour l'Animus |
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Au retour des vacances, après 15 jours de séparation, au premier regard échangé avec Elle, en une fraction de seconde, j’ai su que je n'avais plus la même personne en face de moi. Le regard était froid, derrière les yeux un mur était dressé : on n'entre pas ! Soit ! Au sein de l’entreprise, on était effectivement là pour travailler. Je sentais un certain désintérêt d’Elle vis-à-vis de moi et de ce que je proposais. Elle paraissait éteinte, grincheuse et agressive. Lorsque j’essayais d’aborder la question, elle disait qu’elle n’avait pas envie de parler et quand elle parlait, c’était pour dire qu’elle avait beaucoup donné et qu’il n’était pas question de continuer comme ça, que je demandais beaucoup trop, qu’elle ne pouvait pas faire deux choses à la fois, que c’était trop pénible physiquement et psychiquement, qu’il y avait beaucoup de travail important à faire dans l’entreprise. Je la trouvais fermée et agressive, avec beaucoup de non-dits, me rendant responsable d’une situation qui lui pesait, et donnant des explications factices et extérieures. |
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Durant les jours qui suivirent, tout lui était prétexte à exprimer sa mauvaise humeur. Quelque chose s’était passée, s’était cassée durant ses vacances, et je n’arrivais pas à comprendre quoi. Ce qui ressortait, c’est que la relation lui pesait, peut-être par l’état de dépendance dans laquelle je la mettais dans les faits. La communication était bloquée, aucun échange n’était possible. A l’écouter, je l’avais vidée et elle se défendait en coupant les ponts. |
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J’étais ‘diabolisé’ par Elle, à l’entendre j’étais un véritable tyran. Toute discussion avec Elle était un piège qui se refermait sur moi car Elle le transformait en affrontement verbal. Évidemment, j'étais chargé de tous les défauts et de tous les péchés du monde, alors qu'Elle, à ses dires, n'avait pas changé d'un iota : elle était une et indivisible ! Un matin, pour un prétexte sans importance, Elle est partie du bureau en claquant la porte et en posant un arrêt maladie de quinze jours. Ce qui ne nous a pas empêché quelques jours plus tard de nous retrouver à la terrasse d'un café pour prendre un verre ensemble et bavarder comme de vieux amis. |
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Là encore, une synchronicité m'a mis les sous-titres en m'amenant à lire "La femme et son ombre" de Silvia di Lorenzo, excellent ouvrage préfacé par ML von Franz qui explique bien le jeu de l'animus, notamment celui d'un animus négatif pollué par l'ombre comme celui auquel j'étais confronté. A cet animus, chez Elle, je donnai le nom de Mecbeth, (mec car c'était un homme, beth, la maison en hébreu, Mecbeth, la maison de l'homme), car lorsqu'il sévissait, Elle était en état de possession complète, il avait fait d'Elle sa maison. Mecbeth était aussi un clin d'œil à Macbeth, celui dont Shakespeare a fait un usurpateur et un tyran, ennemi de sa propre liberté, fasciné par le destin dont il devient le jouet et l’artisan. |
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Très vite, j'appris à mes dépens qu'on ne discutait pas avec Mecbeth, il est au-dessus de toute logique, tout le nourrit et il n'a de cesse que lorsqu'il a écrasé son contradicteur. |
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Après cet épisode, les choses reprirent leur cours avec des alternances d'Elle et de Mecbeth. |
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Un rêve d’incendie témoignait de mon état intérieur : « Il y a le feu à la maison. Je me replie à l’intérieur avec quelques personnes. Le feu est tout autour à l’extérieur. A l’intérieur, il n’y a pas encore le feu et on n’en sent pas les effets. Peut-être qu’on va tenter une sortie, tout au moins moi. » Ainsi, il y avait le feu dans mon environnement proche. Tout portait à croire qu’il s’agissait d’une allusion au changement d’Elle qui faisait s’écrouler un pan de mon monde extérieur actuel, remettant en cause un certain nombre de choses, apportant perturbations, démolitions et déceptions. Le rêve confirmait ma réaction vers le repli sur soi, le repli dans mes valeurs profondes où l’on ne sent pas les mouvements extérieurs. Il m’a semblé que je devais faire face à cet incendie avec patience, intériorité, profil bas, dignité, force, humanité, et sans communiquer. Je restais disponible, ouvert et souriant. Je n’allais pas au-devant d’Elle, je ne la fuyais pas pour autant, je restais dans le cadre professionnel, j’attendais qu’elle vienne à moi. Je n’avais pas envie de tenter une sortie trop tôt. Je pensais que je devais attendre que la demande vienne d’elle. Je m’attachais à rester disponible et ouvert. |
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Mon diagnostic était une poussée d’animus, d’un animus contaminé par son ombre qu’elle projetait sur les autres, notamment moi, mais pas seulement moi. Par ailleurs, j’avais l’impression qu’elle jouait à un jeu avec moi, au sens de l’analyse transactionnelle. |
Au sujet de l'analyse transactionnelle, on lira avec profit les livres d'Eric Berne. |
Le jeu s’engageait par le profil anima d’Elle, ce profil qui suscite une projection de l’anima de l’homme et donc une fascination de celui-ci. Cette fascination stimule l’homme qui s’engage dans une démarche de séduction, se découvre, et prend des initiatives car c’est dans sa nature masculine. Elle se prête au jeu, au moins par la magie du regard, tout en gardant une distance et une réserve qui renforcent le profil anima, donc la fascination et la volonté de posséder. De plus, Elle ne nourrit pas activement la relation, elle laisse l’homme prendre des initiatives, elle se laisse mettre en quelque sorte en situation de dépendance. Quand l’homme l’a intégrée dans son environnement et ses projets, quand il devient de plus en plus pressant, c’est le moment qu’elle choisit pour renverser la situation, refuser en bloc la situation de dépendance, projeter ses propres défauts sur l’homme, le casser par la froideur des sentiments, par l’indifférence affichée et l’affirmation de soi uranienne, le tenir responsable de ses problèmes, de ses fatigues, de sa disponibilité, de sa capacité à donner sans compter (“regarde dans quel état tu me mets”). |
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En résumé, après une phase de séduction, Elle se retrouve dans une situation passive de type “moi pas OK, toi OK “dont elle tient l’autre responsable et qui lui sert à motiver un renversement brutal en tentant de s’affirmer par la disqualification de l’autre : elle passe ainsi, au moins à ses propres yeux, à une situation de type : “toi pas OK, moi OK”. |
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J’avais décidé de casser ce jeu en adoptant une réaction de type “moi OK, toi OK” signifiant : « je respecte ton point de vue et ta volonté, tu as tes raisons d’agir ainsi, je t’accepte telle que tu es, mais je ne me laisserai pas disqualifier, moi aussi je suis OK, je ne suis pas responsable de l’état dans lequel tu es, c’est à toi de te gérer. Si tu ne veux pas aller plus loin, OK restons-en là, je suis grand garçon et capable de faire face aux contrariétés sans me laisser entamer dans mon intégrité. » |
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Petit à petit, Elle nourrissait l’idée que j’occupais toute la place dans la relation, que je décidais de tout et qu’elle ne pouvait qu’accepter ou refuser. Avec sa position de retrait, là au moins, c’était elle qui avait décidé. Moi, je n’y voyais qu’une crise de puberté d’affirmation de soi, une manifestation de l’animus puer, pulsion inconsciente. Elle le disait elle-même : ça ne passe pas par la tête. |
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Il me semblait que la nouvelle attitude d’Elle était révélatrice du fait que nous étions toujours dans la relation, et même plus précisément qu’Elle venait effectivement d’entrer activement dans la relation. Alors que moi j’y étais rentré avec une anima positive, elle, c’est avec un animus négatif qu’elle faisait son entrée en scène, une entrée fracassante. C’était son expérience que nous allions vivre maintenant, alors que durant ces derniers mois nous venions de vivre la mienne. |
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Après plusieurs semaines de ‘gueule’, j’en suis venu évidemment à m’interroger sur ma démarche, à ce que je faisais là. Combien de fois me suis-je dit que j’étais complètement fou de prendre de tels risques, de mobiliser autant d’énergie et de passer autant de temps avec une psychopathe. Je m’en voulais de m’être autant découvert et d’être traité avec une telle désinvolture, une telle indifférence, une telle incohérence. J’étais profondément dépité de voir ce merveilleux se terminer en eau de boudin dans la plus banale des banalités. Quelle confiance accorder à Elle ? Je me suis senti trahi dans mon intimité. Je pensais qu’elle était capable de faire n’importe quoi et de se mettre dans une situation personnelle complètement impossible. Oui, je pensais qu’au fond, c’était une pauvre fille détraquée. Quant à moi, je voulais gérer proprement et dignement l’après-relation, ne serait-ce que par fidélité à moi-même, à la qualité de ce que j’avais vécu personnellement, même si par ailleurs je m’étais laissé complètement berner. Je savais que je l’énervais et qu’elle passait du temps à déblatérer sur moi autour d’elle dans l’entreprise. Elle était engagée dans un processus de rejet complet de moi. La situation paraissait complètement bloquée. Je vérifiais sur Elle ce que j’avais lu dans “la femme et son ombre” : Elle cédait à la tentation d’attribuer à l’homme toute la responsabilité de sa propre infériorité et dépendance , elle niait sa propre ombre et celle-ci, en tombant dans l’inconscient, contaminait l’animus. Pour Elle, j’étais porteur d’une projection totale, elle était incapable de me reconnaître comme contenu de son inconscient. Lorsqu’elle était dominée par l’animus, Elle n’avait aucune capacité de réflexion et de pensée critique, la discussion était lutte verbale et occasion de s’opposer pour avoir raison à tout prix : aucune logique au monde ne pouvait l’ébranler. La situation était complètement bloquée, Elle faisait une fixation négative sur moi, pour elle j’étais “tyrannique, même quand je suis sympa, transformé par mon pouvoir de chef d’entreprise”. La discussion était totalement impossible, Elle me provoquait en permanence. A la limite, pensais-je, elle est dangereuse. |
Pierre exprime son ressenti avec des mots très durs, voire choquants, sur Elle. Il révèle là son trouble profond et son incompréhension totale du comportement d'Elle. A ses yeux, Elle est devenue une étrangère. |