Billet d’humeur n°4 - 8 mai 2001
Réaliser le Soi
Il n'est pas rare d'entendre dire de quelqu'un qu'il cherche à " réaliser le Soi ". A ces gens-là, disait Élie Humbert, il est intéressant de raconter par quels chemins Jung lui-même en est venu à élaborer le concept de Soi.
Alors qu'il venait de se fâcher avec Freud, alors qu'il avait perdu tous ses repères et qu'il avait décidé de laisser advenir ce qui devait advenir, Jung s'est mis en tête de suivre l'inspiration qui l'invitait à renouer avec son enfance en construisant des petites maisons avec des cailloux ramassés sur le bord du lac de Zurich. Freud avait rêvé de faire de lui son fils spirituel, ses travaux avaient une audience internationale et lui, Jung, utilisait ses moments de liberté pour aller ramasser des petits cailloux et construire ses petites maisons. Cette activité ne relevait pas d'un grand niveau intellectuel. Elle aurait pu être celle de l'un de ces débiles qu'il côtoyait tous les jours au Burghölzli. Cette expérience de base, pourtant, a conduit Jung à prendre conscience des mécanismes de réparation et de construction à l'œuvre dans la psyché. Ainsi il a approché le Soi et cette régression à un état débile en a été le prix à payer.
Vous qui cherchez à " réaliser le Soi ", êtes-vous prêt à payer un prix identique pour y arriver ? quel prix êtes-vous prêt à payer ?... sachant, bien évidemment, que ce n'est pas parce que vous vous comporterez en débile que vous aurez pour autant " réalisé le Soi ! " :-)
Citation du mois
Je me dis alors : " J'ignore tout à un tel degré que je vais simplement faire ce qui me vient à l'esprit. ". Je m'abandonnai de la sorte consciemment aux impulsions de l'inconscient.
Dans cet état d'esprit, la première chose qui se produisit fut l'émergence d'un souvenir d'enfance datant de ma dixième ou onzième année. A cette époque de ma vie, j'avais joué passionnément avec des jeux de construction. Je me souvins clairement comme j'édifiais des petites maisons et des châteaux [...] A ma grande surprise, ce souvenir émergea accompagné d'une certaine émotion.
" Ah, ah ! me dis-je, là il y a de la vie ! le petit garçon est encore dans les environs et possède une vie créatrice qui me manque. Mais comment puis-je parvenir jusqu'à elle ? " [...]
Ce moment fut un tournant de mon destin. Je ne m'abandonnai finalement à la plongée qu'après des répulsions infinies et non sans éprouver un sentiment d'extrême résignation. Ceci n'alla pas sans susciter l'expérience douloureuse de l'humiliation de ne pouvoir réellement rien faire d'autre que de jouer.
C'est ainsi que je me mis à collectionner les pierres dont j'avais besoin en les ramassant sur le bord du lac soit dans l'eau ; puis je me mis à construire de petites maisons, un château, tout un village. [...]
Chaque jour, après le déjeuner, quand le temps le permettait, je m'adonnais aux constructions. A peine la dernière bouchée avalée, je " jouais " jusqu'à l'arrivée des malades ; et le soir, si mon travail avait cessé suffisamment tôt, je me remettais aux constructions. Ce faisant, mes pensées se clarifiaient et je pouvais saisir, appréhender de façon plus précise des imaginations dont je n'avais jusque-là en moi qu'un pressentiment très vague.
C.G. Jung, Ma vie pp. 201-203.