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Billet d’humeur n°22 - 5 juin 2004

Que faire de ma souffrance ?

Douleur, par Elisabeth Chamontin, 19/10/01

- Voilà encore cette grande souffrance, et moi totalement démunie pour l'affronter.
Fuir ! Ma première envie est de la fuir. Enfant, je la contenais en moi. Aujourd'hui encore, je la tais. Ne pas m'étaler, telle est ma manière d'être. Que faire de ma souffrance ?
"Tout est souffrance dans ce monde", disait le Bouddha. La voie pour s'en libérer et accéder à la tranquillité parfaite du Nirvana passe par le détachement. C'est notre attachement profond et habituel au concept d'un "moi" permanent qui est la cause principale de la souffrance. Dois-je apprendre le détachement ?
La Bible également place la souffrance au cœur de la condition humaine après l'expulsion du paradis, et tout le problème de l'après-paradis est de savoir que faire de cette souffrance. La réponse donnée par Jésus sur la croix, alors qu'il est abandonné de tous, y compris de Dieu, c'est d'assumer la souffrance jusqu'au bout, par fidélité à sa mission. Faut-il en déduire que pour gagner la vie éternelle, il faut souffrir abondamment ici-bas ?
N'y a-t-il pas d'autre attitude face à la souffrance que de chercher son extinction avec le bouddhiste ou de l'accepter avec le chrétien ? Quelle voie choisir ?

- Unis les contraires, mon amie, habite et détache-toi ! Accueille ta souffrance, ne la nie pas, mais ne lui laisse pas non plus prendre toute la place. Prends le temps d'être consciente de ce qui se joue en toi, de tes peurs et de tes frustrations, de tes illusions ébranlées par ce que tu vis. Et si ta souffrance était propice à une intériorité salutaire ? Ta souffrance a sa propre fonction, il s'agit pour toi de la vivre sans te perdre dedans. Accepter ta souffrance, accepter ta tristesse, c'est une forme de respect de toi. L'important, c'est de ne pas te laisser posséder par elle. Réfléchis, tu verras, c'est bien d'un problème d'appropriation, de possession, d'identification qu'il s'agit.

- Tu veux dire que je ne dois pas dire "'Ma' tristesse", mais "Il y a de la tristesse en moi, elle a le droit d'exister, elle a le droit de s'exprimer" ? Et que cette tristesse je dois l'accepter comme j'accepte qu'à l'extérieur il fasse mauvais temps ? Tu veux dire que ma souffrance a une fonction à remplir dans l'équilibre de ma personnalité totale, celle par exemple de me permettre d'accepter l'inacceptable ? Tu veux dire que je dois vivre ma souffrance parce qu'elle est inextricable de la vie et qu'il est important de la vivre … sans pour autant me laisser totalement obnubiler par elle ?

- Oui, c'est ça. Tu vois, je ne te dis pas : "Il faut être courageuse !" Je dis même tout le contraire : "Au diable l'héroïsme, là n'est pas la solution". Je préfère parler de respect : respect de soi et acceptation de sa douleur, respect de l'autre pour ne pas lui imposer sa propre douleur. Accueillir sa souffrance, c'est aussi se donner le droit d'être soulagé. Ce que j'ai constaté personnellement, c'est qu'à partir du moment où j'accueille ma souffrance, que je ne la nie pas ni ne la chasse, que je l'assume sans pour autant me laisser posséder par elle, alors celle-ci devient féconde, elle devient sensibilité à la vie, sensibilité aux autres, elle devient compassion. Aussi curieux que cela paraisse, faire face à ma souffrance la transforme. Fais l'expérience et tu t'apercevras alors que le 'je' a pris pied ailleurs, derrière, plus au fond. C'est ce décalage du 'je' qui change la face du monde. Ta souffrance est toujours là, elle s'exprime car elle a une fonction de rééquilibrage à remplir, mais elle ne te possède plus totalement et cela ne t'empêche pas de la sentir dans toute son intensité. La différence, c'est que tu n'es plus anéantie par elle.

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Commentaires du billet d'humeur n° 22





Citation du mois



La passion est destructrice parce que je tente de la retenir, d'en faire ma chose, ma propriété.

Or, je souffrirai jusqu'à en mourir - et beaucoup savent que ces mots ne sont pas exagérés - jusqu'à l'instant où je "passerai au travers". Le sens de la souffrance, c'est de traverser. Nous vivons dans une époque tellement poltronne qui nous protège, qui nous apprend surtout à ne pas souffrir, à rester en surface, à ne pas entrer dans les choses. Tout est superficiel.

Or "il n'est pas de petites portes, il n'est que de petits frappeurs". La passion nous offre une chance de traverser le mur des apparences.

[…] Alors seulement commence la responsabilité envers le monde, quand on s'aperçoit combien de choses on fait souffrir de sa souffrance, combien de choses et de gens et d'êtres étouffent de notre étouffement, de notre ressentiment, de notre haine, que de choses sont prises dans le réseau de nos désespoirs, que de choses nous entraînons dans nos dépressions, combien de plantes meurent autour de nous dans notre appartement, combien de morts entraînent nos dépressions.

[…] rester en contact avec la profondeur, se pencher sur ce qui m'habite, sur ce silence des entrailles. Quelque chose en moi sait que rien ne peut m'arriver, que rien ne peut me détruire. C'est ce noyau infracassable en nous, ce noyau infracassable du divin en chacun de nous. Alors la peur cesse et quand la peur cesse, il y a un drôle de morceau en moins d'horreur sur la Terre!

Christiane Singer, extrait de Terre du ciel, http://www.humains-associes.org/No6/HA.No6.Singer.2.html