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Billet d’humeur n°21 - 7 mars 2004

Affinement du désir

Pélican alchimique nourrissant ses petits                  [cliquez pour agrandir et appuyez sur F11]

Voilà quelques semaines, devant aller à Paris au dernier moment, je réserve un hôtel par Internet. Tout ce que je sais de celui-ci, c'est qu'il est proche de mon lieu de travail. Le jour venu, arrivé à l'hôtel, je dépose mes valises et je me propose d'aller manger une petite assiette dans le quartier, histoire de me réconcilier avec la vie. Que vois-je en sortant, là, tout à côté ? La Brasserie du Pélican ! A l'angle d'une rue portant le même nom ! Diable, cela sent l'alchimie ! Le pélican étant de surcroît mon animal-fétiche, je vois là une sympathique synchronicité et, évidemment, je ne peux pas faire moins que répondre à une telle invitation. J'entre donc, je m'installe à une table et je me plonge dans la lecture de la carte. Et là, dans la carte des menus, je découvre la délicieuse histoire de cette rue du Pélican.

La rue du Pélican date du début du XIV° siècle, elle était alors hors de l'enceinte de Paris et elle portait le très joli nom de "rue du Poil au cul" en raison de la population particulière qui l'habitait et qui travaillait dans les "bouticles à peschié" (boutiques à péché). Plus tard, pour mettre un peu de moralité dans l'appellation de la rue, un subtil glissement phonétique transforma "poil au cul" en "pélican".

Plus tard encore, en 1792, pour bien marquer la progression de l'ordre moral, cette rue du Pélican devient la rue Purgée, et quelques années après, elle change encore de nom pour devenir la rue de la Barrière des Sergents, du fait que la maréchaussée a été installée là pour éradiquer la débauche. Enfin, en 1806, la rue retrouve son nom de rue du Pélican qu'elle a encore aujourd'hui.

Tous ceux qui connaissent un tant soit peu la riche symbolique christique et alchimique du pélican ne manqueront pas - à la manière de Rabelais - de saluer d'un grand éclat de rire ce bel itinéraire qui va du poil au cul au pélican. Quel magnifique raccourci pour exprimer que la mystique s'enracine dans la débauche et qu'un lien profond unit les deux.

Le poil au cul exprime effectivement ici la débauche, et la débauche, c'est à la fois une question de démesure et de transgression qui sort l'individu du sillon social et en fait un être à part. Dionysos est son dieu, dieu au phallus, dieu de la vie dans son jaillissement, le dieu "deux fois né". Ne dit-on pas de l'individuation qu'elle est dionysiaque ? Dionysos, c'est le dieu qui vient du dehors. Toujours perçu comme étranger, il relève de la relation à l'autre. Et précisément, le sexe est ouverture à l'altérité. Certes, le sexe en tant que tel n'a jamais sauvé personne, mais l'amour, l'amour fou, l'amour qui incendie, lui, oui. Représentation de l'amour qui nourrit ses petits avec le sang de son cœur, le pélican exprime quant à lui, la générosité du sacrifice, le dépassement de soi jusqu'à la dépossession, la consumation par l'amour. Le pélican, c'est aussi le phénix qui renaît de ses cendres.

Beaucoup de grands mystiques ont commencé par être de grands débauchés, ils sont passés d'un état à l'autre par un affinement du désir dans une culture de l'excès.

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Commentaires du billet d'humeur n° 21





Citation du mois



Fallait-il distinguer, comme le font les historiens et certains exégètes, Marie la pécheresse, Marie de Béthanie et Marie de Magdala ? Ou au contraire, comme le fait la tradition ancienne, ne voir en ces " trois Marie " qu'une seule et même femme ? Nous ajouterions une seule et même femme à des étapes différentes de sa vie, chacune de ces étapes manifestant une mutation intérieure, une métamorphose de son désir et un nouveau visage du féminin.

[…] le fil qui relie ces femmes innombrables qu'incarne Myriam de Magdala, de la courtisane à la Sophia, c'est le désir, le désir têtu et fragile qui n'ignore aucun des climats de l'humain, du plus charnel au plus spirituel.

C'est ainsi que Myriam de Magdala peut être considérée comme l'archétype féminin de l'Anthropos, celle qui à travers les métamorphoses de son désir réalise son entièreté et sa Paix.

Jean-Yves Leloup, Une femme innombrable, le roman de Marie-Madeleine, Albin Michel.


note : Shalom, "la paix" en hébreu, d'où vient le nom Shulamite (la bien-aimée du Cantique des cantiques), veut dire être entier. Nous ne sommes pas en paix tant que nous ne sommes pas entiers. Tout ce qui n'est pas assumé n'est pas transformé…