Mérelle.net, l'aventure intérieure

Billet d’humeur n°12 - 7 juillet 2002

"Moi ?
Qui, moi ?"

Foule, un tableau de Manon Otis

Lequel es-tu de ces mille visages que tu montres ? Sais-tu qui t'habite ? Sais-tu qui tu es ? Sais-tu quel est l'élan qui te porte ? Es-tu un ou es-tu mille ? Tous les jours, ton humeur change ; avec elle, tes désirs et tes projets !

Tu rêves de transparence et te voilà plongeant dans le mensonge et la compromission.

Tu as soif de profondeur et d'intériorité et te voilà t'installant dans la banalité, cette banalité rampante qui rogne tes ailes naissantes.

Tu veux régler ta vie pour l'aventure intérieure et te voilà, écervelé versatile, te diluant dans le monde.

Où est ta continuité ? Qu'est-ce qui te fait toi ? Quel sens ta vie a-t-elle dans l'économie du monde ?

Ces questions lancinantes reviennent périodiquement. Elles entretiennent un fonds de frustration et d'insatisfaction qui nous porte à désirer de plus en plus le changement. Oh oui, échapper à ses routines, être en vacances de soi et de ses propres pesanteurs, ne plus revenir en arrière, avancer, alors que sur cette voie de la transformation, il semble bien qu'on n'en finisse pas de commencer !

Que faire ?

" Hic Rhodus, hic salta ", "C'est ici Rhodes, c'est ici que tu dois danser !" Jung aimait répéter cette phrase. Oui, c'est ici et maintenant que nous devons vivre, oui une partie de nous ne doit pas craindre de s'engager dans le tourbillon du quotidien, mais il importe également de trouver en soi ce témoin intérieur suffisamment distancié pour ne pas s'identifier aux mouvements du moi. Là est le centre, là est le point fixe, c'est là que s'enracine le Je !

Commentaires du billet d'humeur n° 12





Citation du mois



Peut-on jamais échapper à Maya ? La raison établit une mesure mais sa critique perd l'âme et le sens. L'expérience intérieure et les symboles raniment la vie, mais de quoi parlent-ils ? ne sont-ils pas seulement les visages de notre désir ? Une réalité, certes, mais qui demeure "pour moi". Y a-t-il un passage pour échapper au goût subjectif des choses aussi bien qu'aux normes collectives ?

Oui - là où c'est intolérable ; dans le secteur de la vie déchiré par une contradiction ou bloqué sur un manque définitif - là où les représentations lâchent parce qu'elles ne servent à rien.

La porte du réel, c'est le conflit.

Un conflit sans issue déchire le réseau des pensées et des fantasmes avec lesquels la personnalité consciente s'efforce d'enserrer l'objet et elle-même. Il ouvre sur l'inconnu, l'impossible, le miracle. L'initiative est ailleurs. Elle appartient à des forces inconscientes, s'il en existe.

Un homme prend conscience après un certain temps d'analyse du faux-moi avec lequel il a bâti toute sa vie depuis quarante ans. Il ne sait plus quoi penser, ni de quoi décider ; il n'a plus de goût à rien; il remet en question son mariage, ses enfants, sa profession ; il ne sait pas davantage comment faire avec lui-même. Qui dit que cet homme n'en restera pas là, devant sa vie en morceaux ? Qui sait d'où et comment "cela" repartira ?

Que valent les convictions philosophiques, politiques ou religieuses tant que le penseur, le militant et le croyant n'a pas pris conscience de son ombre, c'est-à-dire de tout ce qu'il refoule, compense et ne vit pas grâce à des convictions. La rencontre de l'ombre et du Mal, avec les conflits qui en résultent, est pour Jung l'épreuve de vérité. D'une part, elle met au jour l'emprise de l'anima et de l'animus ; d'autre part, elle inscrit une transformation du sujet dans les convictions qui subsistent.

" S'il est dégagé des projections, c'est-à-dire s'il n'est plus l'opinion des autres, l'homme sait qu'il est son propre oui et son propre non. Alors le soi agit comme une conjonction des opposés et constitue par là l'expérience la plus immédiate du divin que la psychologie puisse en définitive saisir ". [CG Jung, Les racines de la conscience, p. 284 ]

Jung a été saisi par cette expérience où le moi supporte le conflit et où un terme " qui n'était pas donné " se présentera peut-être. Lorsque l'unité se refait dans une forme nouvelle - une solution inattendue, une autre manière de vivre le conflit, un état dans lequel les éléments du conflit sont à la fois conservés et dépassés - le sujet a conscience d'être au contact avec une dynamique qu'il ignore et qu'il ne peut appréhender.

Jung n'hésite pas écrire :

" la transformation est un miracle qui ne peut s'accomplir sans l'aide de Dieu ".[CG Jung, Mysterium Conjunctionis, t. 2, pp. 28-29, p. 284 ]

Nous avons beau savoir que Jung s'en tient à un point de vue phénoménologique, nous devons tout de même nous demander ce qu'est le Dieu auquel il se réfère dans une telle circonstance.

Élie G. HUMBERT, Jung et l'interrogation religieuse, in SEUILS, Cahiers de psychologie jungienne, n°34, 3e trimestre 1982,